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Bretagne Sud : les Tursiops se suivent, se croisent, et ne se ressemblent pas

Moana Gascogne, saison 2, épisode 4

Quels que soient les charmes locaux, nous ne resterons pas en rade à Lorient très longtemps, et nous reprendrons assez vite notre prospection et notre cheminement vers le Nord-Ouest. …Enfin, surtout l’Ouest, maintenant !

Dans des eaux en fait plutôt abritées -sauf de ce qui viendrait éventuellement du Sud-, la mer calme est agréable pour débuter les « rotations » de prospection visuelle. Nous ne tarderons pas à voir un aileron se dessiner sur la surface d’huile à environ 800 mètres dans le travers.

Juste après la détection, une première vue zoomée au 600 mm permettra de déterminer l’espèce à qui appartient l’aileron

Seraient-ce les Delphinus qui nous avaient tenu compagnie avant l’arrivée qui pourraient déjà reprendre du service ? Pas si vite ; un aileron, deux ailerons, trois ailerons, … ; mouvements assez amples, animaux apparaissant plutôt massifs même à longue distance, voilà qui fait plutôt penser à des Grands dauphins.
Un petit coup de téléobjectif, et l’identification est confirmée !

Ils nous croisent en se déplaçant vers l’Est, mais nous choisissons de les observer tout de même quelques minutes. Nous laissons les animaux avancer légèrement plus vite que nous ; plus le temps passe et plus nous apercevons d’individus. Ce groupe est étalé sur 300 à 400 mètres, constitué d’un sous-groupe central de 9 dauphins et de 6 à 7 sous-groupes de 2 à 3 individus, le tout parsemé de quelques jeunes animaux, juvéniles et nourrissons.

Ce juvénile reste prudemment près de son adulte mais nous jette quand même des coups d’œil curieux

Les Tursiops sont des animaux très sociaux et assez « dentus » dans leurs rapports du quotidien, et ils acquièrent donc en quelques années une quantité de cicatrices suffisante pour pouvoir les reconnaître individuellement, en particulier au niveau de leur aileron dorsal. Cet aileron, une fois photographié, pourra ainsi être utilisé comme identification pérenne du dauphin (ils continuent à gagner des cicatrices progressivement, bien sûr, mais ne les perdent que très lentement, ou même jamais pour certaines encoches et blessures profondes).
De ces identifications individuelles pourront ensuite découler des études de fluidités sociales, de paramètres reproductifs, de fidélité géographique, de comptages et d’évaluations de populations, par exemple.

Compte-tenu de leur activité de voyage lent, et de leur comportement calme que nous commençons d’abord par évaluer à distance, nous passerons donc dix minutes à rester parallèles à leur route et à essayer de photo-identifier un maximum d’animaux.

Le sous-groupe central en structure serrée comprend notamment les individus répondant aux élégants prénoms de Tt125051_G, Tt125051_I, Tt125051_K, Tt125051_M et Tt125051_N

Il est fondamental dans ce genre de cas de se rappeler que la tranquillité des dauphins est primordiale, surtout lorsque les animaux sont à distance assez faible de la côte dans une zone anthropisée, et donc vont certainement rencontrer une bonne dose d’autres navires (plus ou moins respectueux… ! ) dans leurs prochaines heures.
Lorsque le travail de cétologie porte sur quelque chose qui n’est pas une priorité urgente pour la survie à court terme des cétacés, donc typiquement dans le cas de la photo-identification des Grands dauphins dans les eaux françaises, le scientifique consciencieux, encore plus que quiconque, doit évidemment se rappeler que le respect de la tranquillité des animaux est prioritaire par rapport à l’obtention à tout prix de résultats.

Le téléobjectif de 600 mm est pour cela d’une grande aide, et il nous permettra de rester à une centaine de mètres des animaux… sauf quand quelques éclaireurs décident d’eux-mêmes de s’approcher d’Anacaona.

Respirations amples et yeux au-dessus de la surface pour ces deux individus venus observer le voilier

Notre route reprise vers l’Ouest depuis à peine un quart d’heure, rebelote !, des Tursiops. Un groupe de seulement trois individus cette fois-ci. Nous les laisserons « faire leur vie » et n’essaierons pas d’infléchir notre route, récoltant en passant deux nouvelles identifications de faces gauches (la photo du troisième animal est assez ratée, avouons-le ; il était plus fugace que ses deux comparses, avouons-le aussi).
Ils se dirigent également vers l’Est, semblant plus ou moins suivre leurs prédécesseurs et pouvant en être, peut-être, un dernier sous-groupe très périphérique.

Deux individus assez calmes nous croisent et seront immortalisés au téléobjectif sans dévier de notre route

Le Golfe de Gascogne, avec son plateau étendu et peu profond, est une zone assez propice à la présence de Grands dauphins, dont l’écotype côtier affectionne ce type de bathymétrie, et cette observation d’un grand groupe de Tursiops n’est donc pas très surprenante ; à plus forte raison dans une zone comme la Bretagne Sud où les nombreuses îles leur créent un habitat attractif… jusqu’à potentiellement permettre la sédentarisation d’un groupe, ou attirer la visite d’un groupe vivant usuellement ailleurs… ?


Nous nous éloignons bientôt du Morbihan pour entrer dans les eaux finistériennes, et nous continuons notre prospection. Dès le lendemain, nous avons l’occasion d’affiner nos premières hypothèses puisque les Tursiops réapparaissent à quelques centaines de mètres, cette fois-ci avec une route convergente à la nôtre.

La structure du groupe est à première vue la même que précédemment ; après leur escapade, nos animaux de la veille seraient-ils déjà sur leur tronçon retour vers l’Ouest ?
À deuxième vue, les sous-groupes sont un petit peu plus dispersés… ; la globalité du groupe un peu moins nombreuse ?… ; plusieurs adultes semblent être par ailleurs un peu plus attirés par le voilier que la veille… ; on retrouve bien un juvénile, mais où sont passés les autres jeunes ?…
Bref. Pourrait-on en avoir le cœur net ?

Le proverbial ensoleillement local ne nous permettra pas d’observer correctement tous les dessins cutanés, mais le Tursiops est heureusement une espèce qui se prête assez bien à l’identification via la silhouette ciselée du bord de fuite de leurs ailerons dorsaux

Les animaux sont calmes, aucun autre bateau n’est présent sur zone de bon matin, … les conditions sont réunies pour répéter le protocole de la veille, qui devrait justement nous permettre d’en avoir le cœur net. Nous nous positionnons à 150 mètres parallèles à eux, et nous nous efforçons de photographier la majeure partie du groupe.

Un semi-rigide de plaisanciers s’approchera un petit peu, provoquant un léger regroupement temporaire des animaux, avant de prendre et de garder une posture respectueuse à vitesse modérée, et nous n’interromprons pas notre protocole.
Un second hors-bord arrivera quelques minutes plus tard à 15 nœuds, et ira plusieurs fois au contact du groupe sans chercher à réduire sa vitesse. Quelques dauphins resteront à proximité, surfant parfois même dans sa vague d’étrave, tandis que discrètement l’essentiel du groupe se fera moins visible et se dispersera. Nous sommes pourtant dans le périmètre d’une Aire Marine Protégée, et la législation française y interdit l’approche des cétacés à moins de 100 mètres… voilà qui n’est pas le souci de ces plaisanciers, semble-t-il.

Approche pour le moins indélicate -et illégale- pour ces plaisanciers du dimanche (nous étions vraiment dimanche)

La situation devenant mouvementée, nous diminuerons l’entropie locale en mettant cette fois-ci fin à notre observation et reprendrons notre route.


Et nous profiterons donc de quelques temps morts durant les jours suivants pour enfin tirer tout cela au clair.
Nous sélectionnons dans les différents jeux de photos une bonne quinzaine d’individus pour chaque observation, en choisissant les animaux aux ailerons les plus marqués, facilement reconnaissables, et en favorisant également les animaux s’étant approchés du voilier, puisque du fait de leurs personnalités individuelles les animaux « approcheurs » au sein d’un groupe lors d’une observation ont un peu plus de chance d’être à nouveau approcheurs lors d’une observation postérieure.

Distraction du soir sur Anacaona : Cathy studieuse dans son analyse des différents ailerons

Fin du suspense… aucune recapture photographique entre les observations !
Ce qui n’est pas non plus une découverte phénoménale, mais ce qui est intéressant puisque cela indique que la zone est fréquentée en simultané par (au moins) deux grands groupes de Tursiops évoluant indépendamment l’un de l’autre.
Et accessoirement, ces observations tendent à indiquer, d’une part, que la zone serait plutôt plus riche en Grands dauphins que ce que pourraient par exemple laisser penser les cartes de densités issues de prospections aériennes et, d’autre part, qu’il y a une bonne marge de progression dans la connaissance et/ou le respect et/ou le contrôle de la législation de protection des cétacés au niveau des plaisanciers.

…Triplement instructif, donc !

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